04.10.2021 - Radio

Comment faire vivre la politique suisse auprès des auditrices et auditeurs?

Stéphane Deleury ©RTS

Interview de Stéphane Deleury, chef de la rubrique suisse.

Aborder la politique suisse à travers des sujets qui concernent directement le public, plutôt qu’en analysant des dossiers ardus, telle est la tendance qu’entend prendre la radio. Décryptage avec Stéphane Deleury, chef de la rubrique suisse.

Chaque mardi, à 7h54, Stéphane Deleury présente sa Chronique politique. Dans le studio de La Matinale, ses collègues sont souvent morts de rire. Celui que son confrère Benjamin Luis qualifiait il y a peu de «force tranquille» allie avec brio sens de l’observation et humour. Correspondant parlementaire depuis près de 10 ans, le Neuchâtelois, entré à la RTS en 2004, partage avec enthousiasme son point de vue sur un job pas tout à fait comme les autres. Vraiment?

Que répondez-vous à cette remarque d’un correspondant régional: «le correspondant à Berne a un autre statut, il est mieux considéré que nous»?

Je ne parlerais pas de considération. C’est plutôt une question d’intérêt du sujet. Quand on soupèse les sujets en séance éditoriale, souvent le sujet fédéral va être jugé plus important que le régional par la rédaction en chef. Je vois cela assez bien, car j’ai été pendant 4 ans correspondant à Neuchâtel Région. Ce statut-là, je l’aimais bien. Ne sous-estimons pas le correspondant régional, il est prophète en son pays.

Vous êtes en poste à Berne depuis bientôt 10 ans, sans lassitude?

Franchement, non. On acquiert des capacités de compréhension autres, on décode mieux. On ne se fait plus avoir avec la communication des partis, des politiciens. On arrive à identifier ce qui est un coup médiatique d’un fait important à creuser. Quand on a déjà vécu le même événement politique il y a 5 ou 10 ans, on n’en fait plus la même analyse. Le jeune journaliste a peut-être les yeux qui brillent mais il manque probablement de recul. C’est important, en politique suisse, d’avoir cette vision dans le temps quand on est correspondant.

Neuf journalistes parlementaires couvrent l’actualité fédérale pour la radio. C’est considérable, non?

C’est trompeur. En réalité, nous sommes moins qu’il y a dix ans en équivalent temps plein. Ce sont tous des postes à 70 ou 80%. Dans l’équipe est inclus un journaliste multimédia, Mathieu Anderson, chargé de faire des produits originaux en politique sur le web et les réseaux sociaux. Stratégiquement, c’est intéressant de savoir que toute l’équipe de la rubrique politique de la radio est regroupée à Berne, là où tout se passe, alors qu’auparavant une partie travaillait depuis Lausanne. Nous sommes au 1er étage du Medienzentrum avec nos collègues des différentes radios nationales, SRF, RSI, RTR. Certains confrères sont très pointus dans leur domaine, ce qui donne lieu parfois à des échanges très vifs.

Quelle qualité incontournable doit posséder un correspondant parlementaire?

Clairement la curiosité et de l’intérêt pour tout. Le champ d’investigation, avec tous les départements, est gigantesque. Cela va du très ardu financement du système hospitalier universitaire dont il faudra expliquer l’énorme enjeu financier, à la politique politicienne. Soit qui a le meilleur profil pour devenir président de parti, Conseiller fédéral, pourquoi telles bisbilles à l’intérieur d’un parti, etc. Cela étant, je constate au bout de dix ans un petit côté huis-clos. C’est-à-dire qu’on se retrouve régulièrement à parler avec les mêmes personnes, dans l’administration, dans nos sources, qu’on invite facilement les mêmes élus politiques, romands plutôt alémaniques, lors d’un débat. Ce monde-là n’est pas immense. C’est là tout l’enjeu. Ce n’est pas parce l’on est correspondant au Palais fédéral, embedded (embarqué) dans la vie politique suisse, qu’on ne doit pas sortir pour aller voir des gens. Désormais, la radio tend vers plus d’incarnation, être plus proche des préoccupations et des intérêts des auditrices et auditeurs qui nous écoutent.

Concrètement, ça signifie quoi ?

Pendant longtemps, la radio a été le lieu où l’on faisait des analyses ardues sur des sujets compliqués alors que la télévision incarnait, faisait de belles images. Aujourd’hui, nous avons envie d’aller sur le terrain faire du reportage, entendre les gens touchés par le sujet, que ce soient des agriculteurs concernés par les pesticides ou des proches aidants par une nouvelle loi. En quoi cela va changer leur quotidien? D’un point de vue éditorial, c’est ce que la radio cherche à faire.

Trouver la bonne distance avec les politiques qui cherchent à se mettre en avant ou exercent des pressions, est-ce un défi permanent?

C’est central et valable pour toutes les rubriques. Les journalistes économiques subissent des pressions des gens du marketing et nous, de la part des communicants qui essaient de faire passer leur message. Il faut savoir trier, ne pas se laisser avoir par des effets d’annonce qui sont juste des slogans. Après, à titre personnel, tous les politiciens aiment leur visibilité médiatique. C’est normal. Montrer ce qu’ils font à Berne fait partie du jeu. A nous de respecter un équilibre dans la répartition des invités, la rotation des partis et des politiciens. Nous y sommes très attentifs. Ensuite, il existe aussi des pressions a posteriori, sur des sujets qui ont été faits. Les gens trouvent qu’on a été trop dur, n’ont pas aimé notre analyse. Il ne faut pas se démonter, ça fait partie du job. A nous de travailler de manière rigoureuse. Si on fait une faute factuelle, on prête le flan à la critique. Mais le risque zéro n’existe pas.

Comment les politiciens réagissent-ils à votre chronique politique. Vous n’êtes pas toujours tendre…

C’est différent du commentaire éditorialisé. S’ils sont égratignés dans cette case-là, ils font plutôt preuve d’autodérision. Je n’essaie pas non plus d’être méchant. J’ai la chance de pouvoir observer les politiciens de près et avec ma chronique, j’ai trois minutes pour dire ce que j’en pense, subjectivement. Du coup, ça me donne du pouvoir. Et je prends soin de ne pas en abuser.

Si vous pouviez améliorer une chose dans votre travail quotidien, que feriez-vous ?

Je vois un défi, que tous les correspondant·es parlementaires de la SSR travaillent ensemble sur de l’enquête politique. Nous aurions une force de frappe importante face à la concurrence. A la RTS, on travaille déjà de manière transversale. C’est loin d’être le cas à la SRF où radio et télévision sont encore à se faire de la concurrence. Il y a là une vraie marge de manœuvre qui dépasse largement mes compétences!

Propos recueillis par Marie-Françoise Macchi